"Fait chier, ce con!"
"Cher Jean-Pierre,
Vous que l'on taxait un peu rapidement de misanthropie, vous qui représentiez si justement l'homme dans sa superbe imperfection, vous êtes parti dans un ultime froncement de sourcil, un dernier bégaiement d'exaspération qui ourlait subtilement votre propos pourtant si incisif, ciselé et tranchant.
Pardonnez-moi Jean-Pierre, je débute dans le monde impétueux de la colère, essayant d'ordinaire de dompter le galop fougueux de mes émotions pour trottiner gentiment sur le chemin de la résignation, mais là c'est trop: vous faites chier Jean-Pierre, immensément chier même.
Je ne connais rien à la cosmologie à part le compte Twitter de Thomas Pesquet mais votre disparition est un trou noir qui nous aspire tous vers une dimension parallèle, celle du chagrin dans laquelle vous nous condamnez à errer pour l'éternité.
Vous étiez inégalable, unique, et pour autant on se reconnaissait tous un peu en vous. Mais ce que vous incarniez le mieux, c'est ce que nous sommes le moins. Un homme libre, franc, libéré du joug des conventions, asservi à aucune cause si ce n'est celle des autres et non la vôtre.
Vous jouiez ce que nous sommes et vous étiez ce que nous rêvons d'être.
Votre pudeur, votre honnêteté intellectuelle et votre rareté étaient tellement anachroniques qu'elles en devenaient précieuses. A l'heure où nous photoshopons notre vie quotidienne pour recueillir les likes admiratifs d'inconnus, vous refusiez tout maquillage, y compris sur un plateau télé, ce qui confine littéralement à l’héroïsme sur l'échelle des valeurs des années 2020.
Comme un œuf mayo voguant sur un océan de soupe quinoa, vous incarniez la résistance à une certaine tendance, aux éléments de langage et aux discours convenus, et, tel le jaguar embusqué sur le passage du troupeau de gnous, traquiez chez l'autre ce qu'il est et non ce qu'il prétend être.
Depuis hier soir nous croulons sous les "ronchon", "grognon" et autre "bougon" pour vous définir, vous résumer, vous engoncez dans un costume bien trop étriqué pour vous.
Mais en grattant la croute de ces qualificatifs en "on", on trouvait la beauté de l'homme immense et dense, nous dévastant par son absence.
Il pleut, les hommages pleuvent, pleurons.
Vous faites chier Jean-Pierre. Immensément chier même.
Bien à vous,
Étienne."
@+
Commentaires
Enregistrer un commentaire